Garder ouverte la porte
Carleton-sur-Mer, le 11 avril 2019
Aussi disponible en MP3. Because it’s 2019!
Y’a pas à dire, le temps passe vite ! Nous voici déjà à moins d’un mois de la tournée de Quêteux, un p’tit voyage de 27 jours où je traverserai le Québec en auto-stop pour raconter chaque soir des histoires chez des inconnus. Mais comme avant toute aventure qui me sort de ma zone de confort, en ce qui me concerne, mon confort se plaint ! Une petite voix en moi me disant que je devrais plutôt profiter du mois de mai en restant au raz-le-poêle, à lire un bon livre, café à la main. Et en fait, c’est exactement ce discours qui me motive : elle a raison, mais pour plus tard ! Un jour je m’arrêterai, j’allumerai une petite attisée, me verserai une bonne tasse de café en y ajoutant quelques gouttes de fort, pour que ça réchauffe, et alors je lirai un livre que j’ai moi-même écris sur le seul papier qu’on a toujours sous la main : notre mémoire. J’ai envie de souvenir, pour moi, mais pour ceux qui m’entourent aussi. Et c’est ça, la tournée de Quêteux : un souvenir collectif.
À presque chaque personne que je rencontre pendant cette tournée de conte, j’ai l’impression de brasser les cendres refroidies d’une vieille histoire, mais pourtant, batince! , y reste de la braise ! « Je me souviens, qu’ils me disent, qu’un quêteux venait dormir à la maison quand j’étais p’tit. » Au quatre coin du Québec, on a ce souvenir en tête. Du merveilleux, de l’épouvante, du mystère qui débarquait à la maison. « À peu près une fois par mois, y v’nais à maison ! Ma mère lui offrait à déjeuner, lui, assis sur la chaise qu’on utilisait pour lacer nos bottines, y disait – non merci m’dame Gallant. Y jasais, puis dix minutes plus tard elle lui offrait à nouveau, un bout de notre misère à se mettre sous la dent. -Non merci m’dame Gallant. Elle en faisait pas état, continuait de prendre des nouvelles des grands chemins puis quand le conte était bon, qu’elle était à jour sur ce qui s’était passé d’un bord à l’autre de la Gaspésie depuis le dernier récit, elle lui offrait une troisième fois à déjeuner. J’ai pas souvenir de l’avoir déjà vu refuser la troisième invitation ! Un gars commode…pis une bonne fourchette ! ». -Paroles d’un chauffeur rencontré à l’Ascension-de-Patapédia lors de la Tournée de Quêteux 2015, me relatant le passage du « quêteux » Richard Adams.
La légende, pour exister, puise dans le réel, ou au moins, dans la crédulité. On avait un riche répertoire, du temps qu’on avait tous notre abonnement à l’Église, avec toutes les légendes de Diable que ça permettait d’avoir par la bande, mais de nos jour, qu’est-ce qu’il nous reste en inventaire ? Qu’est-ce qu’on est prêt à croire, ou du moins, à douter ? Et c’est dommage, parce que ça fait du bien de croire en quelque chose, ne serait-ce que pour jouer. Mieux encore, croire collectivement, juste pour se pratiquer. Et c’est à ça qu’elle peut servir, cette tournée de Quêteux : se donner à croire. Garder ouverte la porte de l’imaginaire et du doute.
Garder ouverte la porte…
Saviez-vous qu’on a eu à maintes reprise, dans les dernières années, la visite de Samuel Allo ? -Qui ? Samuel ! Un conteur partant de Bretagne depuis plus de quinze ans, se promenant de pays en pays autour du globe, cognant aux portes le soir pour conter ses histoires dans mille et une langue et avoir un petit bout de plancher où poser sa paillasse. Son histoire, elle fait rêver. Demandez au p’tit Victor de St-Siméon de vous parler de Samuel, et vous allez comprendre, au nombre d’étoiles qui vont se mettre à briller dans ses yeux et au tourbillons que vont créer ses mains agitées, que c’est essentiel de croire qu’un peu de merveilleux peut apparaître au bout du chemin. (Je vous nomme le petit Victor, parce que ça fait plus crédible et ma source semble bien plus vérifiable si je vous dit qu’il vient de St-Siméon de Bonaventure, parole de conteur) Et si on veut que ce genre de drôles d’oiseaux comme Samuel Allo continuent de nous visiter, il va falloir se garder quelques miettes de pains au creux de la main pour les attirer. Garder nos portes et nos oreilles bien ouvertes. Se faire des stickers « Pas de colporteur, sauf s’ils en on de bonnes à nous conter » à coller dans nos fenêtre de porte d’entrée. Se tisser des tapis d’porte sur lesquels on écrirait « Bienvenue. Conteurs: la clef est sous le tapis, faites comme chez nous on arrive ! ». D’ailleurs, connaissez-vous l’histoire du voleur qui est arrivé devant une porte sans serrure et qui est reparti bredouille, ignorant comment crocheter une porte sans serrure?
Accueillir des inconnus et ce qu’ils ont à raconter. Pour les laisser écrire sur le papier de notre mémoire, ce qu’il sera bon de se rappeler plus tard au raz-le-poêle avec une tasse à la main. Pour que ça réchauffe. Moi, ça me dit, qu’on se dise encore longtemps que c’est possible au Québec de voyager grâce aux histoires et c’est en plein pour ça que dans moins d’un mois, m’en va tourner le dos à ma porte, pour cogner à la vôtre. Pis j’ai hâte en maudit!
Un commentaire
Vianney Gallant
Bonjour, je ne savais pas que tu étais allé chez nous, à L’Ascension. Très intéressant ton périple.