Rencontres

Vivre du conte, sans tirer le diable par la queue

Depuis sept ans maintenant, je conte. À ma manière, j’imagine; on le fait tous. Mais en même temps, il y a ces rencontres qui laissent leurs traces, nous font dévier.

Je manque de mots pour décrire ma pratique, pourtant lorsque je tente de le faire, j’ai un plaisir fou à en parler pendant des heures. En attendant qu’on ait des pastilles de goût pour décrire les types de conteurs, qu’ils soient fruités et généreux, ou aromatiques et charnus, j’avais envie de partager un carnet de ce voyage qu’est pour moi le conte. Une petite bibliothèque de rencontres qui ont changé ma manière de voir le conte. Parce qu’ils changent aussi ma manière de voir la vie, et que je souhaite à tous les mêmes “hasards”. Je réalise que dans bien des cas, la richesse de la rencontre tenait dans la différence de l’autre. Une différence si bien incarnée, si cohérente, qu’elle m’appelait à y tendre.

Ces rencontres, je vous les partage en ordre chronologique, comme elles ont croisés ma route. Je dois admettre qu’en faire l’inventaire me donne hâte aux prochaines!

Vivre du conte, sans tirer le diable par la queue

En 2004, j’ai eu le plaisir d’entrer dans une équipe d’impro d’un Cégep de Québec. Activité parascolaire que je recommande à n’importe qui : rapidement, tu perds tous tes anciens amis qui ne font pas d’impro, tu te mets à faire de vraiment bonnes blagues dans tes partys de noël, et quelques années plus tard, quand tu écoutes la télé, tu te rappelles avoir perdu une mixte avec la moitié des comédiens de n’importe quelle série québécoise. Personnellement, l’impro a sévèrement nuit à mes études pour mes deux premières années de cégep, jusqu’à ce que, revirement de situation : au lieu d’abandonner mes études, je fasse exprès pour échouer certains cours qui m’ont permis de rester au Cégep une année de plus… avec ma gang d’impro.

Oui, j’avais du fun avec mes chums, mais, sans le savoir, ce que j’allais chercher à raison d’un soir de pratique d’improvisation par semaine, c’était cette formation en arts de la scène. À chaque impro, on se faisait metteur en scène, auteur, technicien d’effet spéciaux, bruiteur, cascadeur, mime, comédien, et critique. On apprenait à croire en ce qu’on faisait. Chaque aspect était consolidé grâce à des ateliers qui rendaient puissants ce bouquet qu’est un improvisateur. J’avais alors le privilège d’être coaché par Jimmy Doucet (récemment nommé metteur en scène de la Fabuleuse histoire d’un Royaume), qui distribuait tous ces outils à des jeunes qui pensaient juste aller faire des blagues sur scène. L’impro, par la suite, s’est alimentée par elle-même, à partir des outils que m’avait donné mon coach. À force de jouer, dans toutes sortes de contextes, j’ai appris à charmer toutes sortes de publics, ce qui évidemment me sert aujourd’hui dans ma pratique du conte.

Mais, ce que je retiens de Jimmy, c’est pas tant ça. (ceci dit, merci Jim, c’était quand même cool!)(Et merci l’impro… t’as changé ma vie) Non, ce qui m’a clairement marqué, c’est sa vie professionnelle (ou du moins la manière que je la percevais à ce moment, puisque c’est une discussion que je n’ai jamais vraiment eue avec lui) . Jimmy produisait des shows de théâtre en ne le vendant pas comme un produit culturel, mais plutôt comme un produit touristique, dans de petites municipalités qui ne demandaient que ça.

En 2012, pour faire une histoire courte, j’ai reviré ma vie dans ses shorts. Bout pour bout. 180 degrés. Cul par-dessus tête. Bye Québec, je viens m’installer en Gaspésie, et je fais le pari de vivre d’un spectacle de contes. Je me disais que c’était réaliste : conter, ça doit être comme faire une longue impro. Et comme je n’avais pas les moyens de me payer une salle, j’allais régler la question en faisant ça sur la plage. Je voyais mal comment ça ne pouvait pas être rentable ou du moins financer mon rêve de devenir pauvre.

La recette était assez simple (au point qu’elle n’a pas changé alors que j’entame ma 8ième saison), sur mes affiches de spectacle, on pouvait lire :

  • Spectacle de contes, ça me laisse de la marge de manœuvre pour le contenu
       
  • Du 15 juin au 31 août à Carleton-sur-Mer, un peu plus large que la saison touristique à cet endroit, parce que qu’est-ce que j’ai à perdre d’autre que mon temps si y’a personne ?
       
  • 20h, parce que j’ai envie de faire ça autour d’un feu…et parce que je souhaite avoir un public majoritairement adulte.
       
  • 5 soirs/ semaine, 5$ par tête, parce que le jour où ça marchera, ça sera bien en masse. Troc et Demis acceptés. Parce que je ne fais pas ça que pour nourrir ma panse, mais aussi mon rêve qu’on vive un peu autrement.

Cette recette, Ricardo peut vous la faire à la mijoteuse si vous n’avez pas de feu sur la plage.

Crédit photo: WG Productions

La Petite Grève, que ça s’appelle. Résultat, 3 touristes sont venus voir mon show le premier soir, puis c’était bien correct. La recette était si simple que ça ne me dérangeait pas du tout, même que j’étais déjà content d’avoir du monde pour entendre mes histoires. Puis, de fil en aiguille, le show est passé de 800 touristes à 4000 par saison. En gros, entre 10 et 150 personnes par soir, avec dans leurs mains une baguette au bout de laquelle est plantée une guimauve, écoutent des histoires autour d’un feu à Carleton-sur-Mer. Certes, à travers des 4000 touristes, il y a bien quelques spectateurs ; des gens venus pour voir une performance artistique, et ils y ont droit, mais ce n’est pas eux qui étaient appelés à mon spectacle pour faire en sorte que j’aurais du pain sur la table. Non, je visais les gens qui ont 5 jours de vacances et un portefeuille bien heureux de mettre du bon marché dans le panier pour combler les vacances. C’est eux, qui feraient que l’hiver j’irais courir le lièvre plutôt que les demandes de subventions. Me concentrer sur ce que j’aime faire, plutôt que de passer mon temps à demander le droit de le faire et croiser les doigts pour qu’on me laisse me réaliser.

Je crois partiellement en l’idée d’un système de subventions, parce que ce serait triste si on devait marchander toute manifestation artistique ou voir notre gouvernement se désengager complètement de la culture. Mais je crois fortement que l’art est capable de se faufiler, que la créativité peut être financière aussi. Quelle différence pour l’intégrité de mon œuvre y a-t-il entre modifier son projet pour qu’il soit ‘’rentable’’ plutôt que de le modifier pour qu’il réponde aux critères d’une subvention? Je trouverais mon entreprise plutôt fragile si elle reposait sur du financement où des gros joueurs se sont développés l’expertise de “passer la gratte”.

Et ce show, La Petite Grève, a été terriblement formateur pour moi. Près de 60 représentations par saison, à raison de 5 soirs/semaine, finissent par te donner une idée de ce que tu fais. Cette scène a modifié ma façon de conter. La Petite Grève est devenue pour moi à la fois une salle de répétition et une salle de spectacle. La proximité avec le public m’a rapidement plu, jusqu’à y amener une certaine fascination. Jouer avec lui, le laisser exister. Cette scène, elle me permet de conter des histoires pour une première fois et de laisser le public de chaque soir m’exprimer, par ses réactions, me suggérant où cette histoire devrait aller. Parce que qui suis-je pour le savoir de toute façon ? Et pour moi, c’est ça, la tradition orale : une œuvre collective, en mouvement. La propriété de nul, sinon de tous. Indépendante.

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