The power of storytelling
Depuis sept ans maintenant, je conte. À ma manière, j’imagine; on le fait tous. Mais en même temps, il y a ces rencontres qui laissent leurs traces, nous font dévier.
Je manque de mots pour décrire ma pratique, pourtant lorsque je tente de le faire, j’ai un plaisir fou à en parler pendant des heures. En attendant qu’on ait des pastilles de goût pour décrire les types de conteurs, qu’ils soient fruités et généreux, ou aromatiques et charnus, j’avais envie de partager un carnet de ce voyage qu’est pour moi le conte. Une petite bibliothèque de rencontres qui ont changé ma manière de voir le conte. Parce qu’ils changent aussi ma manière de voir la vie, et que je souhaite à tous les mêmes “hasards”. Je réalise que dans bien des cas, la richesse de la rencontre tenait dans la différence de l’autre. Une différence si bien incarnée, si cohérente, qu’elle m’appelait à y tendre.
Ces rencontres, je vous les partage en ordre chronologique, comme elles ont croisés ma route. Je dois admettre qu’en faire l’inventaire me donne hâte aux prochaines!
Il y a plusieurs années, un ami m’a montré à tanner des fourrures: Josh, un Autochtone très près des traditions de son peuple. Travailler une peau prend énormément de temps, alors Josh s’est mis à utiliser ce temps qui était nôtre pour me raconter l’histoire de l’animal que nous étions en train de transformer : le castor. Plus précisément, l’origine de la queue plate de celui-ci ; le récit de la plus belle cicatrice au monde.
Je me sentais privilégié de recevoir une histoire de cette manière ; affairé à une tâche traditionnelle. Combien de fois la même histoire avait-elle été racontée, durant le même processus? Aussi, comme tout ce qui fait partie de ma vie et que je trouve précieux, j’ai voulu le partager. Je me suis mis à raconter l’histoire du castor lors de mes propres soirées de contes, que je produis tous les étés depuis 2012. En fait, j’avais entrepris de raconter plusieurs autres histoires transmises par Josh, mais pour des raisons de respect et d’incertitude, je suis revenu sur ma décision depuis, mais ça, c’est une autre histoire.
Toujours est-il qu’à cette époque, quelque chose s’est produit. Une soirée, j’ai remarqué que Josh faisait partie de l’assistance de mon spectacle. J’ai envoyé le public se cueillir des baguettes à guimauves sur la grève et lorsqu’ils sont revenus, le hasard a fait que la seule histoire de mon répertoire que personne dans le groupe n’avait entendue était celle du castor. J’adore ce que le hasard fait parfois. Pour moi, c’était un moment fort, de livrer cette histoire devant celui qui me l’avait offerte. “Regarde, ami, ton histoire est toujours vivante. J’ai pris grand soin de ce que tu m’as confié.” J’ai conté, puis lorsque l’assistance fut partie, il m’a rejoint.
-Patrick, just before you did start, I saw a woman on the shore. She was struggling, she wanted to jump in the water. Not that she was about to commit suicide, but she was fighting something in herself. I told her : [en Mi’kmaq, qu’il m’a ensuite traduit] « Come, come near the fire, and sit. That guy, he will tell you a story that will help you, I promise. »
De ce que j’ai compris de la manière dont Josh m’expliquait la scène, il avait chuchoté son invitation tout en restant assis à environ 200 pieds d’elle.
-But she heard it, in herself and she came. Walking to the seats, hesitating. I told her « Trust me lady, sit, you need it. » She did. And, Patrick, you started to tell your story. For a moment, she did fight to stay there, but then, she started to cry in silence, in the night. Not for so long. Maybe a minute. Letting something go. It was beautiful, Patrick. [Josh prit une pause d’une minute dans ce qu’il me racontait, regardant maintenant les dernières braises du feu qui avait éclairé la soirée]
It is the first time that I see non-native people doing the same as us with the power of a story. After these tears, the woman did laugh when the crowd was, she did doubt when everyone was, and smiled when it was time to. And as everybody, she came to shake your hand and pay at the end. You probably didn’t noticed her, they were a hundred ! But her eyes were thankful.
It’s the power of the stories, Patrick. They can heal. Tonight, they did. When you tell a story, it’s not you who’s speaking. No. It’s your ancestors that talks through you.
J’ai reçu ce que Josh me relatait alors comme quelque chose de précieux, que je devais digérer lentement. Je suis resté un moment au bord du feu, ému. Je me demandais: est-ce que quelque chose de magique venait vraiment d’avoir lieu ce soir ou est-ce que Josh avait inventé ce petit conte pour que je comprenne quelque chose?
Le doute nous donne le pouvoir de croire ou non. J’ai fait mon choix.
Maintenant, chaque fois que je raconte une histoire, je débute toujours par jeter un regard à l’audience. En moi, j’essaie de faire naître ce sacré, que Josh m’a fait voir. Qui sont-ils, que sont-ils en train de combattre? Et sincèrement, j’espère que ce que je vais leur raconter aura le pouvoir de guérir quelqu’un qui en aurait besoin. Quelqu’un qui, comme moi, fera la magie par lui-même, alors que le doute fera surface, il choisira de croire. C’est là que le conte deviendra réel.