Jour 12: Ploeuc-sur-Lié
C’est fait, j’ai cogné à quelques portes en disant : Bonjour, je m’appelle Patrick, j’suis conteur. J’offre des contes en échange d’un lieu pour la nuit.
Je suis parti de chez Samuel qui me reçois à Ploeuc-sur-Lié vers 15h00. Il m’a raccompagné jusqu’au chemin, comme si je partais pour un long voyage, alors que je revenais dans moins de 24h. Il n’avait pas tort.
J’avais 30 minutes à marcher avant de lever le pouce ; petit chemin de campagne. J’étais fébrile, déterminé. Je trouvais un peu ridicule mon appréhension d’un geste simple : cogner à une porte, demander de l’aide en échange d’autre chose. Il ne devrait pas y avoir quoi que ce soit de gênant là-dedans. On peut même voir la chose économiquement, pour rire : 2-3 personnes vont voir un spectacle pour lequel d’autres ont déjà payé 15$ lors d’un festival, et en échange, ils m’offrent une chambre qui se paie environ 40$ sur Airbnb. D’un autre point de vue : j’offre ce que j’ai de plus précieux, en échange d’une retaille de ce que vous avez (un divan suffira, voir un bout de plancher). Ou d’un autre point de vue encore : un inconnu se permet d’aller à votre porte, pour vous demander de l’accueillir. La peur de déranger. Voilà.
Une fois ma marche terminée, je lève le pouce et c’est drôle mais le malaise que j’ai parfois à faire du stop est complètement dissipé par le fait que je m’en vais vivre quelque chose de beaucoup plus intense dans un moment. 30 minutes d’attente, sur un spot pas trop propice à immobiliser une voiture et hop!, une chauffeuse s’arrête pour moi.
Justine : Salut, tu vas où ?
Moi : hum… par là je crois, vers St-Brieu.(Où va-t-on quand ce qu’on cherche est partout?)
Justine : Monte.
Une fois rendu à St-Brieu elle me demande où je veux être déposé. Je lui dis que je crois que l’idéal pour mon projet, serait un lieu où les maisons sont espacées. Je ne sais pas pourquoi… Je m’imagine que c’est plus facile en campagne qu’en ville, mais ça ne se base sur rien…
Je descends, elle me conseille une boulangerie où égrainer un peu de temps avant de me lancer. Il est 16h00, je veux commencer vers 18h00. Leur donner le temps de revenir du travail, d’ouvrir une bière, d’être chaleureux ! Premier gros constat : moi qui normalement se met à chercher un plan d’hébergement vers les 15h, là je profite. Du café, du Kouign amann, de mon livre. Parce que j’ai un chez-moi ce soir, je dois seulement trouver derrière quelle porte il se cache. Cette famille ne le sait pas encore, mais elle m’attend. Sam m’en a convaincu. Un hébergement aussi flexible fait que je suis à destination, partout. C’est un peu grisant, comme sensation de liberté. Pas d’urgence. Tout va bien. Je pense…
Puis, 18h00 arrive. J’aurais été si confortable, chez-moi, les pieds au raz du poêle, à lire un livre… Je passe de touriste peinard, à Quêteux. Je marche dans la direction opposée au centre-ville. Puis tout de suite, je vois un bâtiment qui me parle. Sam m’avait dit: va vers les maisons qui t’inspirent, il faut que la première soit la bonne. J’arrive près d’elle : il y a une clôture d’environ 1 mètre de haut, pour séparer le trottoir du terrain. Je n’ose pas ouvrir la petite porte. Ça me semble intrusif. Et… s’ils ont mis une clôture, c’est que les inconnus ne sont pas les bienvenus, non? Sinon, il fallait y penser avant de mettre une maudite clôture chez-vous!
On passe à la suivante. Un appartement un peu modeste, ça me semble bien. L’idée populaire que ceux qui en ont le moins savent facilement le partager. Je réalise que je juge tout ce qui m’entoure. Mon jugement… c’est tout ce que j’ai. Peut-être un peu d’intuition. Je le saurai tôt ou tard.
Toc toc toc.
J’suis calme. Pas trop barbu, vêtements aux couleurs vives, je sais à peu près ce que je veux dire. C’est dans la poche. J’ai plus vraiment peur. Mes sens sont en éveil. Un cliché, mais un cliché juste!
Pas de réponse. Merde. Ils ont manqué notre rendez-vous.
Sois, je me couche sur le pas de la porte et on a une drôle de rencontre lorsqu’ils arrivent plus tard, sois je poursuis. Je choisis l’option 2, mais l’option 1 me fait rire, c’est bon d’avoir le moral, parole d’auto-stoppeur.
Deuxième porte, en face. Pratique. Pas de clôture.
Toc toc toc. Ouverture. Apparition d’un humain. Patrick, contes, hospitalité, voyage, gratuit.
-Non merci, j’ai pas le temps.
-Ok pas de problème, merci et bonne soirée.
-Tu devrais aller en campagne, tu ne trouveras pas de gens pour t’accueillir en ville.
C’est la générosité qui fait qu’un humain réssent le besoin d’en décourager un autre, lorsque celui-ci lui semble naïf?
-Possible madame, mais là j’suis en ville, et j’vais trouver.
-J’crois pas. Bonne chance,
-Voulez-vous une histoire, ici? J’crois que ça vous fera du bien. Une belle histoire, gratuitement, je ne vous demande même pas d’entrer, j’ai juste envie de vous en faire le cadeau (en moi-même : parce que vous méritez de vivre dans la culpabilité d’avoir saboté la beauté du monde, sorcière !)
-Pas le temps.
Bon… Je reprends la route. Ce qui est drôle, c’est que la dame était quand même conviviale. Elle semblait inquiète pour moi. C’est riche tout ça. Je finis de monter une côte et je découvre le quartier auquel je me suis attaqué : banlieue de petites maisons collées les unes sur les autres, à 300k Euros chacune. Merde, c’est sûr qu’à 18h00, ces gens sont épuisés de payer leur hypothèque. Tant pis, on cogne!
J’avance, je chasse la maison parfaite. En chemin, je croise un homme qui lave sa voiture. Je l’aborde.
-Bonjour, peut-être pouvez-vous m’aider. Savez-vous si dans votre voisinage il y aurait quelqu’un susceptible de [bla bla bla].
Filou félin! Beaucoup moins intrusif comme approche.
Il me répond: « Tu veux une bière? »
LA VOILÀ, MA MAISON! J’Y CROIS PAS!
Il me dit que sa femme va décider, que lui ça ne le dérange pas, justement voila sa femme à vélo, c’est elle qui a mise cette petite bibliothèque gratuite au coin de la rue (c’est dans la poche, sérieux! Elle pose des livres!)
Sa femme arrive, elle passe derrière son mari et dépose son vélo, il lui dit: « Bon chéri, c’est toi qui décide, moi j’ai rien contre. Le jeune homme va t’expliquer. »
Je tombe de mon nuage.
Elle est épuisée, ça se voit. Elle le dit, il instite, elle répète, il nuance, elle dit qu’elle va se coucher, je les interrompt en disant que je ne veux pas les déranger, il insiste, elle aussi…
Sa femme entre.
Il me dit: « Bon, regarde ce qu’on va faire: tu pars cogner aux portes et si d’ici une heure tu n’as pas trouvé, reviens ici et on va t’offrir l’hospitalité. Tu veux une bière? »
-Bon plan, une heure, parfait. Merci beaucoup. Et pour la bière, j’vais refuser, j’ai pas envie de sentir l’alcool en demandant le gîte. À tantôt peut-être, sinon, merci beaucoup et bonne soirée.
Chacun sa sécurité! V’la la mienne. Je me demande même si ça ne me fait pas tricher, passer à côté de la vraie expérience. Mais bon, on fait avec ce qu’on a. D’ici une heure, je reviendrai!
Entre temps, je cogne à 19 nouvelles portes.
Pas de réponse. Pas le temps. Pas besoin d’histoire. Pas –Attendez! Quoi? Pas besoin d’histoires? Vous n’avez vraiment pas besoin d’entendre des histoires? Hé bien…
19 portes, c’est une heure. 19 portes, c’est pas tant. Je suis endurcis quand même, j’fais du pouce. J’ai 2000 personnes par jour qui me disent qu’ils ne veulent pas me faire confiance ou mieu encore, font semblant de ne pas avoir vu qu’un humain leur souriait au bord du chemin.
Et puis, il y a la 20ième. Parce que je ne vais pas retourner chez mon laveur de voiture et sa femme après 60 minutes et 20 secondes. J’vais faire mon indépendant. Faire désirer l’indésirable!
Toc toc
-Salut, j’conte des histoires en Bretagne, c’est gratuit, juste pour le plaisir. (Je ne mentionne pas que je cherche l’hospitalité, juste pour voir…)
-Bien oui, entre.
L’univers bascule. L’humanité devient quelque chose en lequel on peut croire, pour lequel on doit encore se battre.
Petite famille, jeune couple mi-vingtaine, deux enfants de moins de 2 ans.
-T’as mangé?
-Oui, merci. (Non. Quoi!? Voyons, me voila qui me défile. J’veux bien partager leur table, puisqu’ils me l’offrent, mais il est trop tard. J’ai été court-circuité par mon réflexe « poli » de refuser l’hospitalité, c’est con! Trop tard.)
On jase, je parle de mon voyage, des autres maisons, etc. La petite se brûle sur son assiette, gestion de crise, pendant que moi et mon impression de déranger sommes assis sur une petite chaise au milieu de leur cuisine.
Fin des pleurs. Voulez-vous une histoire? Biensûr.
-Il y a longtemps de celà…
Pouf!, voila, je suis en train de le faire. Je conte chez des inconnus chez qui j’ai cogné. Juste pour que vive le conte. Les petits ont les yeux grands comme des 2$ CAD, les adultes sont portés par cet inconnu qu’ils ont osés recevoir. La magie existe. Un conte, deux contes, trois contes, 30 minutes.
-Bon, je vous laisse.
-Tu dors où?
Merde, j’ai pas demandé le gîte en cognant, j’veux pas avoir l’air de celui qui avait fait sembant de ne pas chercher de gîte alors que c’est ce que je voulais les amener à m’offrir.
-J’vais cogner à d’autres portes et quand le soleil tombera, je demanderai le gîte.
Non mais, entendez-le celui-là! T’avais qu’à dire « S’il vous plaît ». Idiot, assume-toi un peu!
-D’accord, et bien, si d’ici 30 minutes tu ne trouves pas, tu peux repasser ici.
-Avec joie.
(Ça ne s’invente pas…)
Je retourne dehors. Il commence déjà à faire noir. Je marche. Clôtures. Parc. Parc!
Je m’asseois, avec la ferme intention de laisser filer 30 minutes avant de revenir chez cette famille. Le seul doute qui subsiste c’est: Est-ce que je vais raconter ce qui s’est réellement passé? Oui. Parce que c’est probablement très proche de comment tant de gens auraient réagi. Il n’y a pas de gêne à être un peu con, tant qu’on ne s’y applique pas à temps plein. C’est drôle, une histoire où le héro et son ennemi sont coincés dans une seule et même personne, prenant chacun leur tour le contrôle.
La suite est toute simple, douce: retour, toc toc toc, ma chambre, dodo, réveil, déjeuner, bye bye, merci. Pour tout, merci.
Je ne leur ai pas dit que c’était la première fois qu’on m’hébergait dans une maison où j’avais cogné. J’ai bien dormi chez plusieurs familles d’inconnus rencontrés sur la route, mais jamais en cognant à la porte. S’ils m’avaient demandé, je leur aurait dis, mais j’aimais pouvoir laisser planner l’idée que c’était une chose normale, que le monde qui les entoure leur ressemble: accueillant.
Marché public, galette-saucisse, fromage, pain, marche d’une heure, auto-stop vingt minutes, maison de Sam, dodo, écrire ce qui s’est passé, vous le partager.
Ensuite? Le refaire. Parce que ça ne sera jamais pareil. Parce que je me suis engagé envers moi-même à le faire quelques fois au moins. Parce qu’on a tous besoin d’histoires, même ceux qui croient le contraire. Surtout ceux-là.
Pour voir le tracé du voyage:
Merci au Conseil des arts et des lettres du Québec pour son soutien au projet Colportage
3 commentaires
Mathieu
»Où va-t-on quand ce qu’on cherche est partout? » : Inspirant ! Par moment, le voyage amène des questions tellement fortes. Cette question est belle en voyage mais sera toujours aussi riche au retour. Pour moi, les moments de bonheur se retrouvent où la frontière entre mon intérieur et l’extérieur devient quasi inexistante. Je me dis souvent ; je dois faire attention à ce que je désir parce que ça risque d’arriver.
Quand je te lis et peut-être que je me trompe mais c’est comme si l’adversité t’enchante plus que le ruisseau tranquille où la première maison dirait »Oui, entre »…
Je vais te suivre parce que te lire me garde éveillé au fait que mon quotidien est aussi un voyage pleins d’opportunités.
Christiane
Chapeau Patrick ! La glace est cassée. Tu as repoussé tes limites. Merci de nous partagé tes doutes aussi bien que tes bons coups.
👏
Odile
Il y a partout des surprises d’accueil et de partage, mais parfois les portes sont difficiles à ouvrir jusqu a la belle surprise.