Jour 20: Guerrien
Vingt jours déjà [insérez une réflexion par rapport au temps, à sa vitesse et sa lenteur relatives…]
Je ne sais plus trop ce que je fais ici. Pas que je m’ennuie ou que ça perde son sens, mais je dévie. J’étais venu ici pour apprendre à cogner aux portes et entendre de nouvelles histoires et voilà que je me surprends à être à la recherche d’autre chose: le vrai conte. Je ne sais même pas ce que cela veut dire.
Je cherche ce moment où le conte devient un lieu d’échanges, la parole passant d’un participant à un autre. Comme si le « spectacle de conte » comme on le voit aujourd’hui était fait d’un producteur (le conteur) et de consommateurs (les spectateurs). Je cherche soudainement autre chose. Je cherche des moments où suite à l’une de mes histoires, une autre personne rebondit et nous en raconte une à son tour. J’y ai goûté quelques fois: en stop, certains se sont mis à raconter des blagues et de petits contes, des légendes urbaines. On y était. Lors d’une soirée, quelqu’un « osait » raconter une histoire de son enfance. Mais misère, les obstacles sont nombreux.
D’un côté, on n’a pas l’habitude de faire des « jams » d’histoires. Un pot lock, où chacun amène du sien, aussi modeste soit-il. Souvent, quand les gens reçoivent une histoire, ils la laissent les traverser, ne pensant même pas qu’eux aussi pourraient la raconter ensuite. Le spectateur n’a pas le réflexe de collecte. Ensuite, il y a la notion d’élitisme. Moi, en affirmant être conteur et en prenant mes aises dans une histoire d’une heure, je fais de la scène une chose moins accessible. Qui veut aller occuper cette chaise brûlante à ma suite? Le souci de performer.
Je ne sais pas ce qui m’attire là-dedans.
J’imagine que j’y sens un fondement du conte, de la tradition orale. Ça me fait constater à quel point je me fais des « à croire ». Je pense faire un spectacle près de la tradition, mais ce n’est qu’une saveur artificielle, un hommage qui tient sa beauté de la nostalgie.
Moi qui venais pour trouver de nouvelles histoires à conter, je réalise que j’aurais un peu de mal à faire un spectacle avec ces nouvelles trames. Comme si c’était un matériau noble que je ne voulais pas traduire, que je ne voulais pas trahir. Cette collecte a été le fruit du murmure. Ce serait grotesque d’en crier la récolte.
Le spectacle de conte ou le cercle de conte. Deux univers, qui s’entrecroisent, qui utilisent la même matière, avec les mêmes moyens, mais dans des dynamiques tellement différentes. « Ces gens vont nous raconter des histoires » ou « Nous allons nous raconter des histoires ».
Et puis, j’y fais mes armes. En 20 jours, je vois des nouveaux réflexes apparaître. Raconter de plus brèves histoires, mettre moins de fioritures dans mes histoires, pour que reste ouverte la porte du « moi aussi je vais t’en raconter une ». Laisser plus de temps entre chaque histoire, revenir à ce que l’on disait, pour que le conte n’ait été qu’un ingrédient de discussion et, va savoir, peut-être quelqu’un autour de la table en a-t-il aussi un dans son sac. Depuis 8 ans, j’ai appris à crier mes histoires, maintenant, je découvre ce que c’est que de les chuchoter.
La scène du conte se porte bien, au Québec. Grâce à tous ses artisans. Mais la culture du conte, ne tient pas uniquement sur ce pillier. Je crois que chez nous, comme ici en Bretagne finalement, malgré ce qu’on en dit, trop souvent si un conteur terminait son histoire par « à vous », un silence de mort régnerait. Les conteurs sont alors le souvenir de ce qui a déjà été; peuvent-ils en être la promesse?
La question du « quoi » se précise, je marcherai maintenant avec la question du « comment ».
Pour voir le tracé du voyage:
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