Jour 28: Ploeuc sur Lié
En partant de Branderion, ma route me mène à Hennebont. Pas tellement plus loin. Gros avantage, ils ont une crêperie, juste en face d’une épicerie. Après la soirée d’hier, je mérite des galettes. Beaucoup de galettes. Avec un cidre, tiens. Et pourquoi pas, une crêpe pour dessert. C’est pour me fondre dans le décor, ce n’est pas de la gourmandise.
En sortant, je vois que l’épicerie vient de fermer, zut. Les commerces ont souvent de drôles d’heures d’ouvertures pour le nord-américain que je suis. Peu importe, je trouverai bien du pain quelque part; j’aime avoir mon mini garde-manger avec moi, ça rend mes journées de déplacement plus faciles, et ça me permet de ne pas arriver les mains vides chez mon hôte.
En marchant, je tombe sur la médiathèque de Hennebont, tiens, j’vais essayer quelque chose.
-Bonjour, je suis un conteur, est-il possible de conter gratuitement dans votre bibliothèque ce pm?
-Hum… c’est compliqué.
-Mais non, on prend 3-4 chaises-là dans un coin, je m’y pose dans 10 minutes, je conte pendant 20 minutes, et on refait la même chose 10 minutes plus tard. S’il y a une personne, il y a une personne… s’il n’y a personne, c’est pas plus grave, j’ai un bon livre pour tuer le temps !
-Bon, ok!
J’ai une petite idée derrière la tête en faisant ça. Mais je ne perdrai pas trop de temps ici, il faut que je reprenne la route pour trouver une ville où cogner, et Hennebont est trop gros.
Dix minutes plus tard, il n’y a personne. Tant pis. Puis quelques minutes plus tard, il y a 20 personnes pour entendre mon conte. 75% sont des enfants. Trente minutes d’histoires plus tard, je termine en les remerciant et en disant:
-Et si jamais quelqu’un a une petite place chez lui ce soir pour accueillir un voyageur, ça me permettra de continuer à donner mes contes à d’autres!
Je sais, je sais. Mais hier j’ai pris assez cher. Je me la joue Club Med aujourd’hui.
Tout le monde s’éloigne, prétextant de l’intérêt pour ce livre ou pour celui-ci. Puis… ils viennent. Une mère et sa fille. Sourires timides, elles ont une invitation pour le conteur voyageur.
J’ai leur adresse, à laquelle je me rends après avoir fait des courses. Les enfants vont chercher un petit voisin, je conte devant la petite assistance bouche bée.
Je vois du coin de l’œil le regard de la mère passer de mon histoire aux visages des enfants. Le pouvoir des contes dits!
Le soir, c’est moi qui conte une histoire aux jeunes pour les border. Puis bonne nuit tout le monde.
3h du matin, je me réveille avec une de ces envies de pipi. Petit problème: je suis au rez-de-chaussé, et les toilettes sont à l’étage, avec les chambres à coucher. Pas le choix. Je monte, éclairé par mon portable. Catastrophe: toutes les portes sont fermées et j’ignore laquelle est la porte des toilettes. Je sais seulement que l’une des deux a ma gauche est celle de l’un des enfants où j’ai conté en fin de soirée. J’te jure que quand tu dors chez des inconnus, t’as pas envie qu’ils se réveillent au milieu de la nuit alors que tu ouvres leur porte doucement! 5 portes. 2 chambres d’enfants, une chambre principale. Bon… Je pousse doucement une première porte, qui craque craque craque… c’est fait exprès? Mais par l’ouverture, je ne vois que le mur de la pièce…. je pousse et pousse, en me demandant s’ils vont me croire quand j’vais leur dire que je cherchais les toilettes. J’aperçois finalement un bout de bureau d’ordinateur. Je referme! J’ai un fou rire quand je réalise que je suis en sueur. Mission impossible. J’ose une deuxième porte, c’est pas comme si j’avais le choix. J’vois un lavabo. Merci la vie, les toilettes!
Au matin, la famille me donne les infos sur la forêt se Brosselliande, un lieu mythique où se déroulent les légendes arthuriennes. Merlin and folks auraient rôdés par là. Je bouffe vite fait la centaine de kilomètres, et réalise que je suis hors saison…et hors week-end. Des randonnées pédestres et des livres à vendre, avec des chandails de loups bien entendu. Zut.
Je vais dans une boutique d’herboriste juste à côté du centre touristique pour demander s’ils ont le contact de conteurs. Entre marginaux, on sait jamais! Paf! Je me retrouve avec le numéro de 10 conteurs. Je les appelle tous. Je me book trois jours de rendez-vous avec cinq d’entre eux.
Une mine d’or. 5 façons de voir le conte, d’en vivre, d’en douter. Le tout déposé dans un territoire qui s’est transformé en une véritable industrie de la légende. Des randonnées contés en série, des repas contés à tous les coins de rue, des souvenirs pour les fins et les fous. Think big, ‘sti.
Funny fact: les gens viennent de loin… et ont des attentes, dont celle d’entendre parler ses Korigans, petits êtres de la forêt. Seul problème… c’est que c’est un folklore qui appartient davantage au Finistère, une heure à l’ouest. (Bien qu’il y ait une ou deux légendes locales des Korigans) Mais, le client a toujours raison! Résultat: alors que cette culture était déjà hyper riche de l’univers unique de Merlin et cie, ils ont ajouté des images de Korigans au travers.
Ceci dit, c’est quand même beau de voir l’imaginaire s’emparer à ce point d’un territoire et d’une population.
Je reprends la route le troisième jour, réalisant que je ne suis qu’à une heure de chez Samuel Allo. Je suis serré dans le temps avant la nuit, mais je tente ma chance. Au pire, je cognerai aux portes!
Quelques voitures, beaucoup de marche, puis un jeune m’embarque. Il m’offre de faire un détour de 1h pour aller me porter, parce qu’il trouve mon voyage capoté. Son char est scrap, son linge serait rejeté par n’importe quelle friperie, mais il dépense 1h de gaz pour aller porter un inconnu. Le pire, c’est que ça ne me gêne même pas d’accepter: ce soir quand il se couchera, il sera riche du cadeau qu’il me fait, je ne vais pas lui enlever le peu qu’il a en lui disant qu’il ne devrait pas me l’offrir. Ce soir, lorsqu’il regardera son plafond de chambre pourri avant de s’endormir, il sourira, parce qu’il se sentira digne. Et croyez-moi, il le sera.
Je retrouve Sam à la tombé de la nuit. Bonne bouffe entre amis, lieu où je peux évoluer sans demander de permission, sans demander où sont les toilettes. Chez soi. Au matin, je m’empresse de repartir. Je sens la fatigue du voyage. Comme la mousse qui voudrait s’emparer de ce qui est tombé dans la forêt. Surtout: rester en mouvement, la fin du voyage approche. Le ryhtme qur je m’impose est trop intense pour moi, mais il y a cette date de vol de retour qui approche. Il faut tout voir, tout rencontrer, parce que chaque chose a une fin.
Pour voir le tracé du voyage:
Merci au Conseil des arts et des lettres du Québec pour son soutien au projet Colportage