JOUR 29: LOCMÉLAR
Des vacances! Depuis deux jours, je me la coule douce. Au 27ième jour de mon voyage, je quittais la maison de mon ami Sam un peu malgré moi, pour ne pas y rester pendant plusieurs jours. Ne pas laisser tomber l’adrénaline du voyage.
Je me suis dirigé vers un musée duquel on m’avait parlé: Le musée des Chiffonniers, de Loqueffret. Une centaine de kilomètres de route, avec quelques embranchements. En prime, c’est à côté de Locmélar, où j’ai conté en début de voyage. Je me permettrai un arrêt dodo chez des gens que je connais déjà.
Les Chiffonniers, ou « philhaouer », étaient principalement des hommes qui se déplaçaient en Bretagne pour récupérer des chiffons de maison en maison, en échange contre de la faïence, des assiettes ou des soupières. Le chiffon était ensuite revendu dans une usine de papier et servait de matière première.
On m’a dit que ces hommes circulaient dans un territoire qui leur était propre et rapportaient des nouvelles des bourgs avoisinants en échange de l’hospitalité. Des quêteux, quoi!
Je téléphone au musée pour savoir s’ils sont ouverts en ce beau dimanche. Pas de réponse, tant pis, j’y vais. Quelques minutes plus tard, un homme me rappelle : le musée est fermé mais il va ouvrir si je viens. Parfait monsieur, ne vous dérangez pas pour moi, mais je vous téléphonerai en arrivant dans votre village.
J’arrive à Loqueffret vers 16 h 00, après beaucoup de marche et un peu de stop. La ville est miniature, beaucoup de bâtiments en ruine. Ish, je ne sais pas ce que ça serait de cogner au portes ici. (oui, toujours cette idée en tête…) Je prends la chance de faire la visite, qui devrait durer une heure, donc à 17 h je vais devoir me trouver un gîte ou une autre ville, ça va être chaud. En même temps, l’homme au téléphone semblait tellement sympatique, j’crois qu’il va m’héberger si je lui parle de mon projet. On verra.
Visite faite, infos intéressantes, homme passionné, mais pas disposé à me recevoir pour la nuit. Il faut que je bouge! Je tente ma chance vers Locmélar, 25 kilomètres d’ici. Au pire, c’est cinq heures de marche, ça n’a jamais tué personne. Enfin, sûrement, mais ça ira.
Je lève le pouce devant les premières voitures et il y en a une qui s’arrête, enfin! Honnêtement , j’avais assez marché pour aujourd’hui. Le couple me dit ne jamais prendre d’autostoppeur, mais en me voyant, ça leur a semblé naturel. Hé hé, quel charisme !
Ils vont vers Morlais, pourraient me déposer à 10 km de Locmélar, génial. À Morlais, ils vont chercher leur fille au salon du livre. Hum, un salon du livre, c’est toujours intéressant! Attendez, je vérifie un truc!
Dring dring
-Oui, c’est Patrick, je voulais savoir si je pouvais arrêter dormir chez toi ce soir à Morlais?
-Oui, biensûr Patrick, je serais très heureuse de te revoir! Je ne serai pas à la maison en soirée mais fais comme chez toi, tu sais où est la chambre d’amis.
-À tantôt!
J’informe mes chauffeurs que finalement je les suivrai jusqu’à Morlais. Ils sont un peu surpris par la spontanéité du voyage. Je leur explique que je vais aller chez une femme qui m’a hébergé en début de voyage et que ça me donnera l’occasion de la revoir avant mon départ.
Au salon du livre, mon sac à dos et mon accent attirent l’attention. Dans la file d’attente pour des crêpes (oui!), je me fais 2-3 amis, dont un contact qui voudrait que je conte chez lui à Quimper. Je regrette un peu d’avoir planifié mon coucher, j’aurais eu des hôtes ici.
Quand je quitte le salon du livre, j’hésite entre aller dans un petit bar sympathique du coin ou directement chez mon hôtesse absente. Pile ou face. Finalement je choisis la maison, je crois que j’en ai besoin, malgré mon envie de voir du monde.
J’ouvre, je salue le chat, je me fais une tisane. Une note sur la table me dit qu’il y a mile trucs à bouffer dans le frigo, pas de gêne. Une serviette m’attend aussi, si je veux prendre ma douche. Maison. Famille.
Sur le divan, je passe trois heures à écrire. Pour déposer un peu de mon bagage. Pour ne rien perdre. Pour tout vivre. Comprendre. Partager.
Le chat en profite pour me signaler qu’ici, je suis un meuble sur lequel il peut dormir à sa guise. Puis mon hôtesse arrive, à qui je peux dire que je suis fatigué et que je n’ai pas tant l’énergie pour discuter jusqu’aux petites heures. L’heure du coucher est une chose sur laquelle je n’ai pas vraiment le contrôle, dans ce voyage. Celle du lever non-plus, d’ailleurs. Sauf ici. Ici, c’est mon rythme que j’écoute.
Je me lève, complètement restauré, et reprend la route après de si brefs adieux pour une si belle rencontre. Mes premiers adieux, les jours sont comptés, plus de « je repasserai peut-être plus tard dans le voyage ».
Direction Locmélar en matinée. La chauffeuse qui m’y dépose m’avoue être dans un moment difficile, son père est malade. Je lui offre un conte en bordure de route. Elle me demande une histoire qui mettra du soleil dans sa journée. J’en n’ai qu’un en tête mais j’hésite, il parle de la mort et de la maladie, mais aussi du sens de nos vies. Je n’ai pas envie de lui changer les idées, de la faire rire, mais de l’aider à vivre cette épreuve. Je me lance. Le conte nous touche droit au cœur tous les deux. Elle, de la justesse des mots; moi, de la confiance qu’elle m’accorde en me laissant lui raconter une telle histoire dans de pareilles circonstances. Bon courage.
À Locmélar, je retrouve mes amis, une petite fête de village où j’ai l’occasion de raconter quelques unes de mes péripéties, avec des gens qui soudain voyagent un peu avec moi dans cette aventure. Je leur raconte la scène des toilettes de ma nuit à Hennebont, on rit ensemble et on se questionne pendant presque une heure. Peut-être raconte-t-on nos histoires pour ne plus être seul à les vivre…
On fait une randonnée en forêt, ça fait drôle de marcher sans voitures, sans destination (autre que la bière d’arrivée) etsans sac à dos. Soirée jeu de société, bonnes blagues, bonne compagnie.
Je planifie mes jours restants avant mon vol du retour, le 28 novembre. Seize jours seulement. J’aimerais faire trois jours en Grande-Bretagne, deux jours sur l’Île de Jersey sur les traces de Charles Robin, un homme qui a maintenu les pêcheurs gaspésiens en esclavage durant de noommmbreuses années. Bref, il me reste une dizaine de jours de colportage d’histoires, que j’irai passer sur la côte ouest de la Bretagne où il y a un festival de contes qui commence dans quelques jours. Moi qui voulais cogner au moins cinq soirs aux portes, ça va être serré. Je n’ai plus vraiment envie mais je suis venu ici pour ça, déjà que j’ai réduit mon objectif qui était originalement du double.
Pour rester dans le bain, ce soir j’irai cogner aux portes dans Locmélar. Je tomberai peut-être sur quelqu’un qui était venu voir mon spectacle au petit bistrot du coin. Ça devrait bien décoincer quelques serrures!
Pour voir le tracé du voyage:
Merci au Conseil des arts et des lettres du Québec pour son soutien au projet Colportage