Collecte d’histoires en Bretagne, et à côté.
Hiver 2024.
En fait… tout a débuté à l’automne 2023, lorsque j’entendais un couple de conteurs présenter l’une des plus belles histoires que j’avais jamais entendu. C’était au festival de contes de Trois-Pistoles. En l’entendant, je me suis dit: un jour, j’irai chercher cette histoire.
Voilà, on peut revenir à l’hiver 2024, maintenant.
Trois mois en Bretagne
(1 Février 2024)
Me vla reparti. La Bretagne pour trois mois. Mais comme le voyage c’est le voyage, et bien ça ne se passe pas comme prévu.
J’ai passé quelques jours à Séville en Espagne où j’allais rejoindre des amis de voile que j’avais rencontré en voyage il y a bien cinq ans. On avait gardé contact et quand ils ont sû que j’allais en France, ils m’ont invités en Espagne, tant qu’à être là. Ça parrait que c’est pas eux qui allaient se tapper la run! Puis la magie s’est opérée, parce qu’ils savaient que malgré l’amitié, je venais en Europe pour un voyage de conte, ils m’ont organisé une soirée. En quelques appels, on avait une petite assemblée de trois grecs, deux britanniques, un allemand, une espagnole et un québécois (moi!). Trois heures d’histoires, de bouffe, de discussions et de rencontres. Conter en anglais est toujours un plaisir; non pas que j’affectionne particulièrement cette langue, mais que ça fait du bien de ramener des contes à ce qu’ils sont: des histoires qu’on veut simplement transmettre, peu importe les artifices qu’on arrive à y ajouter ou non.
Vers le 15 janvier, j’étais rendu en Ardèche chez un autre ami qui m’a fait le cadeau de me présenter sa communauté. Résultat, après une soirée de conte chez lui, je lui ai emprunté ses amis et je me suis baladé d’une maison à l’autre pour faire plein de petites soirées autour de la cheminée à conter, donner des petits ateliers d’initiation au geste de conter, etc. J’ai même eu droit à une soirée où un ami m’a »réservé » pour venir me conter lui aussi des histoires pendant quelques heures. Le lendemain, en me déplaçant en stop, des gens m’ont demandé de leur raconter ce que j’avais entendu sur leur région… maladroitement, je leur ai raconté et subtilement, deux histoires se sont greffés ainsi à mon répertoire. Si vous saviez combien de livre de conte il faut lire avant de trouver une histoire qu’on a envie de porter, vous verriez que trois mois de voyage c’est pas cher payé!
Après deux semaines en Ardèche, je passais par Lyon pour me rapprocher des grandes lignes de transport et enfin me rendre en Bretagne quand tout d’un coup, je me suis souvenu d’un couple de Lyonnais, B. et M., qui vit maintenant à New Richmond, à 30 min de chez moi. Je leur ai écrit un ptit mot pour leur faire un clin d’oeil depuis leur terre natale et l’instant d’après, le téléphone sonnait: PATRICK, ON EST À LYON!!!! Le lendemain soir, ils rassemblaient 18 personnes dans leur salon pour que je leur raconte un histoire de chez nous, de chez eux. B. m’a raconté avoir eu une p’tite émotion quand j’ai commencé à conter devant ses amis. »Il est chez moi, en France!!! ». J’avoue qu’on ne m’a jamais dit ça pour avoir conté dans une grande salle ou un festival…
Après avoir repoussé de quelques jours mon arrivée en Bretagne, je prenais enfin la route. J’ai trouvé un covoiturage peu probable qui traversait la France sur la grande diagonale et qui me menait juste à côté de mon hébergement que je louerai pour un mois, près de Douarnenez. Quelques blocages d’autoroute par des agriculteurs (le climat politique ici est assez troublant…) plus tard, on arrivait de noirceur dans le coin de Quimperlé, à 1h de mon hébergement. Les deux femmes m’ont offert de m’héberger pour la nuit, chez l’amie qui les hébergeaient elles. La patente s’est transformée en soirée de conte près du feu, encore. J’y retourne d’ailleurs dans quelques jours pour faire une autre soirée de contes avec plus de visite!
Bref, l’affaire se passe pas trop mal. Toutes ces rencontres me permettent entre autre de ne pas trop m’appauvrir. Mon voyage étant financé par mon spectacle estival (essayez d’expliquer dans une demande de subvention, que vous voulez dormir chez des étrangers pour raconter des histoires, vous allez avoir du fun à trouver une case dans laquelle vous fittez!) . Reste que je suis quand même privilégié de vivre de pareilles aventures grâce aux histoires qu’on me donne.
Alors voilà mon résumé de 25 jours / 90 de mon voyage en Bretagne!
Le Finistère, leur bout du monde!
(16 février 2024)
Le 29 janvier alors que j’étais chez B et M, je regardais mes options du lendemain pour me rendre à l’autre bout de la France, dans le Finistère (Bretagne). Coup de chance incroyable, un lift Blablacar (site de covoiturage) partait le lendemain am du petit village où j’étais, Mâcon, et se rendait à Quimper, à 30 minutes de ma destination finale. 11h de route plus tard, j’avais deux nouvelles amies! Comme on arrivait de noirceur, faire la route qu’il me restait à parcourir en autostop devenait plus difficle alors les filles m’ont offert de m’héberger chez l’amie chez qui elles allaient en visite. J’avoue avoir un penchant pour l’improbable, alors j’ai sauté sur l’occasion! À notre arrivée, notre hôtesse était surprise, elle croyait que ses amies lui faisait une blague en lui demandant si elles pouvaient ramener un quêteux pour la nuit. Alors on a assumé la blague jusqu’au bout et on a fait une petite soirée de contes autour du feu.
Le lendemain je prenais enfin la route vers mon hébergement pour le mois de février, à Pont-Croix. Au final, ça faisait 4 ou 5 jours que j’écrivais à mon amie le message suivant: » Oups, petit imprévu, je vais arriver une journée plus tard que prévu! ».
En auto-stop, mon calepin de notes se rempli comme un charme. On me raconte des histoires, on me donne des contactes de personnes à qui il faut » absolument que je parle de mon projet! ». J’ai d’ailleurs appris qu’il y avait une ligue de palet breton dans le village où je vais vivre! Rendez-vous idéal pour entendre des histoires. Le palet, c’est un peu comme la pétanque, mais avec des petits disques de métal qu’on lance sur une planche en bois. Clairement ça va être mon sport du mois que je me dis! Excepté que l’info n’est jamais bonne: le rendez-vous est une fois par semaine et à chaque fois, quand je me pointe, il n’y a personne. »ah non, c’est les mardis, non les mercredis 18h, non c’était à 18h30… » Je devrais finir par être bon pour y aller au moins une fois avant de partir, j’imagine.
Mon début de mois de février est un peu étrange. Je me suis engagé dans l’avenue de contacter plein de petites librairies pour leur offrir de faire une soirée de conte dans leur locaux, afin de rencontrer la communauté, et qu’on me raconte des histoires. Sauf que ça donne un dynamique un peu étrange où j’envoie des dizaines de perches, qu’on me demande des démos, des dates, etc. Y’a un petit quelque chose de décourageant à essayer de programmer des rencontres plutôt qu’à saisir les occasions qui se présentent. Et par dessus tout ça, y’a la priorité de ce voyage: une histoire en particulier que je suis venu chercher.
Cette histoire, je l’ai entendue une fois à Trois-Pistoles, dans un festival. Elle était contée par deux voyageurs. Sur le coup, je me souviens m’être dit que j’adorerais porter cette histoire, mais fouille moi pourquoi, je trouvais vulgaire d’aller à leur rencontre dans ce festival, alors que tout le monde fait du social, qu’on se gave d’histoires. J’avais l’impression d’être dans un centre d’achat… et cette histoire, j’avais envie d’aller la chercher au fond d’une grotte, après miles épreuves. Parce que pour moi, être conteur, c’est aussi se donner la peine de se donner de la misère! Alors j’les avais contacté, puis ils m’avaient dit qu’on se verrait en janvier. Alors j’ai traversé l’océan, et un coup de fil plus tard, ils me disaient que ça serait mieux en février, alors pourquoi pas! Puis là, on a repoussé à mars. Alors que je commence à être à cours de mois de voyage, je m’encourage en me disant que j’ai vraiment bien fait de prendre trois mois ici!
Mais quel sens ça a, de se donner autant de misère pour quelque chose que j’aurais pu trouver dans les livres, ou sur une vidéo youtube? Et bien justement, du sens. C’est tout ce que ça fait: ça ajoute du sens. Quel sens ça a de faire ton pain toi-même? Ça fait un mois et demi que j’ai rendez-vous avec un histoire que j’ai déjà entendue. Presque à chaque fois que je suis au bord de la route, à passer quelques minutes seul le pouce levé, j’y pense. À quelques fragments de cette histoires-là. Le poil me lève sur les bras, le motton me pogne dans la gorge. Et je me dis: que j’aimerais que tout le monde autour de moi connaisse cette histoire. Mais pour ça, il faut qu’on me la donne. Sans quoi… ça ne serait pas pareil.
Alors c’est ça qui est ça, j’essaie de me booker des soirées puis des rencontres, tout en restant »Standby » pour les deux conteurs voyageurs, prêt à faire feu dès qu’ils me diront que je peux retraverser la France pour venir les rencontrer. Et en attendant leur histoire…. je m’occupe comme je peux et je fais le plein de galettes!
Oh, et je suis repassé chez les filles qui m’avaient hébergé près de Quimper. Juste avant qu’elles repartent vers Mâcon, on s’est refait une soirée de conte autour du feu. Elles avaient même invitées des amis, dont un couple qui jouait de la musique, et une autre qui avait… une histoire à me raconter.
Collecte d’histoires en Bretagne, jour 51/90, mine de rien!
(24 février 2024)
J’achève mon mois dans la petite ville de Pont-Croix, dans le Finistère. Ma stratégie ici était d’avoir un pied à terre, pour pouvoir lancer des perches à gauche et à droite, et avoir le temps de planifier des rencontres, des petits événements où je pourrais rencontrer la population et leur donner envie de me dire ‘’ ah tiens, Patrick, viens prendre un café à la maison demain, j’ai une histoire pour toi. ‘’ Quoi que, bien souvent, ces histoires s’avèrent être des trucs du genre: ma mère me racontait qu’elle allait chercher l’eau à pied, dans le temps. C’est pas inintéressant, mais j’avoue que je cherche davantage des histoires qui commencent par ‘’on dit que la nuit, les soirs de pleine lune […]’’.
D’ailleurs justement, hier c’était un pré-soir de pleine lune et y m’est arrivé une aventure. En fait, rien de fou. Et à bien y penser, on est pas loin du ‘’ ma mère allait chercher de l’eau à pied ‘’, mais je vous la dis quand même parce que, bah, y me faut un peu de contenu!
Depuis quelques années, je me suis mis à prendre des moments pour collecter, au lieux de juste attendre que des histoires me tombent dessus. Alors je pars, avec la ferme intention de trouver des gens qui en auront une bonne à me conter, je tends des perches, comme j’ai les pieds dedans en ce moment. Et des fois, j’en ‘’attrappe une’’. C’est vraiment l’impression que j’ai, avec la misère que je me donne des fois (versus fouiller les livres de contes de la bibliothèque). Et bien, hier, j’ai fait un truc important pour moi, que je n’avais fait qu’une seule autre fois sans trop le savoir, mais que je découvre doucement. J’ai été ‘’porter une histoire’’.
Tout avait commencé en 2019 quand j’ai fait ma première tournée de Bretagne, celle où je frappais aux portes en disant: ‘’coucou, moi c’est Patrick et j’ai un projet un peu douteux. Je raconte des histoires contre de l’hospitalité, je peux entrer?’’. Si vous êtes curieux, voici un lien vers le blog que j’avais tenu à ce moment: https://lapetitegreve.com/category/colportage/ . Bah à travers ce voyage, je m’étais mis à chercher des histoires. Puis à force de chercher j’ai réalisé qu’il y avait une place où je n’en trouvais jamais: chez le monde qui ne sont pas des conteur.euses officiels.elles! Jamais je n’ai croisé un laitier qui m’disais: écoute bien celle-là! Ce constat m’a creusé l’appétit pour une histoire ‘’sauvage’’. Une histoire qui ne soit pas portée par un dresseur d’histoires! Et bien la première histoire sauvage que j’avais trouvé était dans un squat. L’histoire avec les deux étoiles et la pomme, pour ceux à qui ça dit quelque chose… Alors dans mon voyage actuel, j’ai eu comme une envie de dire merci pour ce conte. J’suis retourné au squat pour leur offrir une soirée de conte. La procédure administrative était assez simple: laisse un papier avec ton contact sur le tableau qui est là et on verra ce que ça donne. Et bien ça a donné qu’hier soir, pour revenir à mon aventure pas si incroyable, j’y suis retourné pour conter. On s’est fait une soirée tellement sweet autour d’un foyer en forme de baril dans lequel on foutait des bûches qui passaient aussitôt par la cheminée… Deux trois enfants, deux trois chiens, quelques binouzes et puis ‘’voulez-vous entendre des histoires’’. La lumière lâchait au 10 minutes, les gens se levaient pour aller fumer une smoke quand ça leur tentait, les chiens hurlaient quand y’avais un bruit qui leur plaisait pas dans le conte, et j’vous jure, les contes sonnaient mieux que sur bien des scènes où j’ai conté. On était loin de la dynamique où un roi se pose devant et parle, alors que le rôle des sujets devant est de se taire et d’écouter. Bon, on n’était pas à l’autre bout du spectre non-plus, parce qu’il reste que je suis encore un homme blanc qui jouis du privilège de prendre la parole en public, mais quand même. Donc je leur ai raconté deux trois histoires, en leur expliquant pourquoi j’étais là. Sur la vingtaine de personnes présentes, une fille avait été là, y’a quatre ans quand j’étais passé dans le même lieux. Puis je leur ai offert le conte que j’avais attrapé ici, pour le rendre au lieu.
Je ne sais pas si ça va l’habiter. Si ils vont se la raconter en disant qu’elle vient d’ici. Mais j’avais l’impression de poser un geste juste, de boucler une boucle, de faire du sens. Puis la soirée s’est finie et j’avais plus ou moins de plan ‘’hébergement’’. Alors moi qui déteste marcher, je suis parti à minuit de là, et j’ai marché pendant 3h jusqu’à ‘’chez nous’’. La lune était énorme, avec quelques averses, bien sûr… Puis en marchant le long de ces chemins, bordés de talus, j’ai dérangé quelques blaireaux qui m’ont fait la peur de ma vie en partant à courir, à quelques pieds de moi. Puis il y a eu cette silhouette noire dressée au milieu d’un champ, évidement… Et ces histoires de charettes qu’on peut apercevoir la nuit, qui annoncent une mort prochaine. Ces histoires de lavandières, qui hantent les lavoirs que j’ai croisé sur ma route. À quoi bon porter des histoires, si ce n’est pas pour qu’elles nous habitent?! Trois heures de temps. En prime: je déteste marcher. Alors je chantais en boucle le seul couplet des colocs que je connaissais (parce qu’un dude au squat me l’a chanté juste avant que je parte!). ‘’Moi j’fais mon ch’min dans la foule en espérant qu’une chose […]’’. À demi pour me rassurer, et à demi pour m’assurer que je ne lèverais pas un sanglier qui viendrait me fendre en deux! Y’ont des loups ici? En Ardèche on m’a dit qu’y en avait. Qu’en est-il en Bretagne?
Ce genre d’aventure qui te convainc du pouvoir de l’imaginaire…
De retour à Locmélar, dans les Monts d’Arrée ( carte: https://g.co/kgs/tfonPd5 )
(4 mars 2024)
J’ai refait mes bagages. Après avoir passé un mois à Pont-Croix, où j’avais loué une chambre pour avoir un pied à terre et voyager plus léger dans le Finistère, je reprends la route. C’est une drôle de sensation que celle de remettre le pied dans l’eau froide de l’incertitude! Remettre mon sac sur mon dos, gérer les provisions, gérer les déplacements en fonction de la météo et du temps de clareté, trouver des places où dormir, etc. Quand on est dedans, on ne le sent plus, mais s’y jeter demande toujours un petit effort. Mais bon, si renoncer au confort était facile,
J’ai finalement rendez-vous avec l’histoire que j’étais venu chercher en France! Vers la mi-mars j’irai séjourner chez les personnes qui portent ce conte incroyable et, qui sait, peut-être que je repartirai avec! C’est tout près de Poitiers, ce qui me fait l’équivalent de Carleton – Québec à faire. Fixer ce rendez-vous me permet de planifier le reste de mon voyage. Des rencontres avec d’autres conteur.euse.s, prévoir des lits à gauche et à droite et qui sait, des soirées de contes dans des salons! J’ai booké deux soirées de conte avec des artistes du coin justement, dans les Monts d’Arrée. Je réalise que le fait que je sois un conteur québécois attire des publics qui n’ont pas nécessairement l’habitude de fréquenter le conte ou certains lieux, alors j’essaie d’en profiter pour mettre ces publics en lien avec des artistes locaux, histoire qu’il reste quelque chose derrière.
Je passe actuellement quelques jours chez des amis qui tiennent un bistro-épicerie dans lequel on a fait une soirée le 1er mars. Ils me logent dans une caravane. Les nuits tournent autour de 3-4° celsius mais sous une bonne pile de couvertures, ça le fait. D’ailleurs niveau météo, c’est le gros sujet de discussion ici cette année!: 12 minutes d’ensoleillement pour la première semaine de février! On m’a offert un petit chauffage d’appoint mais ici, tout tourne au nucléaire et ça donne comme des envies de sobriété (dans ce contexte, les chars électriques font nécessairement sourire, mais bon, restons optimistes et ne doutons pas de la seule chose qui nous sauvera)!
In & out à Poitiers
(12 mars)
3 mois en Bretagne, c’était en attendant d’aller chercher une histoire bien précise, à quelques heures de là. J’ai reçu le fameux coup de fil. Rendez-vous du 10 au 13 autour de Poitiers. Je ne vous cacherai pas que j’étais un p’tit brin excité, puisque j’étais conscient qu’il y avait un risque que cette porte ne s’ouvre pas. Après tout, je sortais un peu de nul part en leur disant: on ne se connaît pas, mais j’aimerais bien vous piquer une histoire!
Donc en route!
5h de route, en stop, je n’avais pas trop envie de l’essayer dans une seule journée alors je me suis prévu des arrêts en chemin. Je contacte une femme qui m’a écrit pour me dire que si je cherchais un hébergement dans le coin d’Hennebont, j’étais le bienvenu, qu’ils aimeraient me revoir. Me revoir… mais je n’avais aucune idée de qui il s’agissait. Des gens qui m’ont vu à Carleton? ou peut-être rencontrés en festival? ou en stop? Mais peut-être que… Y’a 4 ans quand j’étais passé en Bretagne, j’avais fait un arrêt dans une famille à Hennebont. J’en ai parlé tellement souvent de cette maison parce que durant la nuit, j’avais eu à me lever pour aller aux toilettes, mais je ne savais plus quelle porte c’était. Deux portes de chambre d’enfants étant dans l’équation, y’avait un risque que j’ouvre la mauvaise, et que les parents se réveillent, et se disent, ‘’mais il fait quoi dans la chambre des p’tits, le voyageur?’’ Ce genre de scénario catastrophe. Même devant la maison, je n’arrivais pas à me souvenir. Quand la porte s’est ouverte, j’y était. Cette maison, cette famille. Des retrouvailles. Un historique. Prendre des nouvelles, ne pas avoir à se présenter. C’est doux. ‘’Cette année, on a une chambre d’amis et tu auras même ta salle de bain privée, pour ne pas avoir à fouiller partout!’’
Au matin, juste avant mon départ alors que je mettais mon sac sur mon dos, le jeune garçon vient me voir: Patrick, c’est que… j’ai une histoire pour toi. Et essoufflé par l’émotion d’avoir enfin eu le courage de me dire ce qu’il voulait me dire depuis hier soir, il m’a raconté un conte. Un qui collera à mes bottes, à ma mémoire. Un conte sauvage. Ni d’un livre, ni d’un professionnel. Un conte sorti de quelqu’un qui trouvait important de partager ça. Une chose rare, je vous jure.
Sur la route un peu plus tard, entre deux arrêts de stop, je me mets à me questionner. Est-ce que le garçon, lorsqu’il a entendu ce conte, s’est dit: oh, il faut que je le raconte à Patrick si je le revois! Si oui… combien de contes attendent comme ça que je repasse chez eux?
Et la route. Et les rencontres. Un amoureux de la cuisine qui me parle de son amour des ingrédients bien choisis, et me comprend parfaitement quand je lui dit qu’il m’importe d’aller chercher moi-même mes contes. Parce qu’il sait que malgré la recette, la nature de l’ingrédient y est pour beaucoup.
Et ce chauffeur qui me demande où je dors ce soir? ‘’Alors tu dormiras chez moi, tu rencontreras ma famille!’’ Il ne m’avait pas averti que je mangerais aussi la plus grosse assiette de délicieux couscous de ma vie, que je mangerais des pâtisseries marocaines fraîches, qu’il irait chercher des viennoiseries au matin, qu’il irait me porter à la sortie de la ville. Mais bien sûr, j’aurais dû m’en douter: il ne m’a pas déposé à la sortie de sa ville… il a fait un petit détour de 1h30 pour aller me porter à ma destination finale. Un détour de 2x 1h30 pour lui. Un cadeau pour le voyageur. Peut-être un cadeau pour lui-même au fond. Peut-être qu’il sait que la vie se met à aller trop vite lorsqu’on oublie comment prendre des détours. Bon, ok, c’est un peu cheesy, aller, en route!
Et puis me v’la à destination, après deux mois de route, d’attente pas tannante. À l’entrée de cette grotte où j’espère trouver une histoire.
Je l’ai
(14 mars)
Je l’ai.
Je l’ai!
Je l’ai?
Plusieurs me diront que je l’avais déjà, mon histoire: J’étais sorti de mon pays, pour aller chercher un conte, sans savoir si on me le donnerait. Plusieurs personnes rencontrées sur ma route m’ont dit qu’en soi, c’était déjà une histoire incroyable. Ils portaient mon voyage sur quelques kilomètres ou le temps d’une nuit, prenant part à cette aventure et se faisant emporter par elle.
Ce soir, je suis sur mon ‘’retour’’, je fais un stop dans une famille qui m’a déjà reçu il y a quelques jours, et leur première question, à chaque membre de la famille en me voyant: ‘’Et puis, l’as-tu?’’ Je les entends comme j’entendais Robins Williams dire ‘’I believe in fairies’’ dans Hook, mais j’sais pas trop s’ils ont la référence…
Une qui me dit que depuis deux jours, ses collègues de bureau lui demandent si elle a eu des nouvelles, si son conteur a trouvé son histoire. Un autre qui m’écrit un texto pour avoir la primeur sans délais, une autre qui écrit ‘’et alors?’’, une question qui, dans le contexte, est sans équivoque. Ils veulent savoir. Pas l’histoire, mais juste si je l’ai. Simplement. Merveilleusement.
J’ai trouvé mes conteurs. Armelle et Peppo. J’ai frappé à la porte de leur grotte, celle au fond de laquelle j’espérais entendre qu’il était une fois. On s’est regardé l’air gêné sans trop savoir par quel boutte prendre ça: trois jours de lousse pour se conter une histoire. Ça va faire beaucoup de silences!
On s’est apprivoisés doucement. On s’est promenés un brin. La Brenne: Ils m’ont montré les étangs formés par le passage d’un géant, Gargantua,puis les buttons laissés par la terre tombant de sous ses bottes. On a mangé, comme des rois. Puis le lendemain on a recommencé. On s’était apprivoisés, doucement. Ils sont de ceux qui savent donner, ils connaissent le voyage.
Alors après dîner (déjeuner, qu’ils disent. Moi j’oublie toujours), on s’est mis à table. Un théâtre à 4 chaises, au beau milieu de la cuisine. De même! Le chat dormait au ras le poêle, le lave-vaisselle ronronnait.
-Bon.
-Bon.
-Alors j’vous cacherai pas que ce voyage avait comme but principal de vous demander votre conte. Mais sentez vous bien à l’aise de dire non, y’a mille et une bonnes raisons de dire non!
Ils se sourient puis elle lui fait signe de la tête, il a pris son accordéon. Dans la cuisine, comme un vieux théâtre auquel on redonne vie. Le rideau se ferme autour de nous alors que s’élevent les premières notes. Que tombent les premiers mots. L’émotion monte, j’peux pas m’empêcher; c’est que je connais la fin!
Alors qu’il étire et referme son accordéon, Peppo a le regard perdu au loin, il est déjà là-bas.
J’ai le goût de me faire porter, mais en même temps, j’suis là pour l’apprendre, alors j’écoute sans écouter. Je note les images dans ma tête, en résistant tant que je peux au voyage. Écouter avec ma tête, seulement. Mais l’accordéon tire fort. Les mains de la conteuse se lèvent au-dessus de la table, pour faire courir les marionnettes invisibles. Crac! La table fend en deux, tout bascule dans le monde d’en-dessous, pis l’accordéon qui nous enfonce dedans. Un gouffre au milieu de la pièce, plus profond que les empreintes de pas de Gargantua. Les personnages qui courent dans l’herbe longue. Ne pas perdre leur trace, pour être capable de faire le chemin à l’envers, pour être capable de la raconter moi aussi. Des passages, desquels je me souvenais, que je savoure, et d’autres que j’avais oublié, que je note mentalement. Mes deux mois d’attentes en ébullition; les gens rencontrés sur la route, qui nous regardent par la fenêtre; le poil de mes bras qui me fait mal, à veille de se déraciner tellement y’a la chair de poule. Pis la fin, qui ne me rate pas. La fin, qui me beurre épais! Comme quand je l’avais entendue la première fois au Québec. Comme quand j’avais entendu la plus belle histoire qu’on ne m’avait jamais raconté.
Les mains réapparaissent au-dessus des personnages qui s’évaporent. Puis l’accordéon, doucement nous dépose sur nos chaises, referme la table, retire le rideau. Le chat réapparaît, au raz le poêle, s’étire un brin en nous regardant de loin, de haut. Lui, y’en a rien à battre des conteurs qui se racontent des histoires. C’est bien le seul.
On laisse flotter un silence. Le bruit de l’accordéon que Peppo redépose sur la table.
-Bon.
-Bon.
-…
Deux jours plus tard, je reprends ma route et eux, la leur. Les chances sont minces qu’elles ne se recroisent pas; on dit que la terre est peut-être ronde.
Sur le bord du chemin j’ai prononcé les mots:
Je l’ai.
Je l’ai!
Je l’ai?
J’la sais, mais j’la sais pas. C’est bizarre. J’connais le chemin, mais j’sais pas comment le marcher. Je ne pourrai pas la dire tout suite. J’ai l’impression qu’il me faut réapprendre à conter. Me reste encore un mois pour finir ce voyage. On va s’apprivoiser doucement.
La suite a des allures de retour. Mon pouce dans les airs, j’ouvre des portières, je referme des portières. Je note des adresses, au cas où, ou bien pour la prochaine fois. Après quatre heure de route, je recommence à voir des drapeaux bretons partout. Je peux ranger mes lunettes soleil.
27 mars 2024
Mine de rien, il ne reste plus grand temps à ce voyage. Je fais le ménage dans mon petit calepin de notes et je vois des dizaines de contacts que je n’ai pas utilisés et que visiblement, je n’aurai pas le temps d’honorer. Du monde qui m’ont pris en stop et qui ont prononcé la formule magique ‘’en tout cas, si tu passes par telle ville, appelle-moi!’’.
Hier je suis arrivé chez mon ami conteur Samuel Allo, qui était la raison de ma première venue en Bretagne en 2019. Il m’avait ‘’montré à frapper aux portes pour conter’’. J’y passerai quelques jours. Ça fait bien parce que je commence à avoir moins envie de courir à gauche et à droite. Dans les 13 derniers jours, j’ai dormis dans 10 différentes maisons, quoi que quelques unes étaient chez des gens qui m’avaient hébergés en 2019.
Ceci dit, les dernières semaines étaient géniales, bien que un peu en marge du conte. J’ai entre autres participé à une soirée d’impro (mon autre vie!) où on a mêlé 23 danseurs, musiciens, improvisateurs, clowns et conteurs pour faire un show d’impro de deux heures. Ça a donné une drôle de soupe, avec d’étranges grumeaux mais une saveur incroyable! T’essaiera de faire une narration sur deux danseurs de ballet jazz qui se font aller sur du Reggae!
Outre ça, j’ai eu droit à un stage de crêpes, ce qui était clairement l’un des highlights de mon voyage! (Faut comprendre que j’adore faire des crêpes et que les vidéos explicatifs sur youtube ont quand même leur limites!)
Bon… entre le moment où j’ai commencé ce message et maintenant, j’ai eu le temps de reçevoir un appel pour aller passer quelques jours dans un collectif de conteurs près de St-Malo. On se reposera en r’venant!
Oh et tiens, j’essaie ça. Vous êtes supposés pouvoir voir mon trajet depuis le début du voyage, sur ce lien:
Suivez-moi pendant mon voyage « Collecte d’histoire en Bretagne (et à côté) » sur https://www.polarsteps.com/…/10819170-collecte-d…
Tirer sur la fin!
(2 avril)
Plus que 8 jours avant le retour. J’avais eu une p’tite baisse d’énergie en sentant la fin arriver, et là, c’est un peu l’inverse! J’ai passé quelques jours chez mon ami conteur Samuel Allo, on a rempli la chaumière à craquer lors d’une veillée de conte, j’ai fait des rencontres folles dont celle-ci:
J’ai passé quelques jours chez Sam avec les Wargasound qui sont un groupe de musiciens qui circulent depuis 16 ans, passant le chapeau pour mettre du gaz dans leur caravanes, et de la bouffe sur la table, simplement. Depuis 16 ans, ils jouent non-stop! Se posent dans des marchés, sortent leurs instruments, font un peu de bruit qui attire les curieux, puis leur mettent dans les mains des feuilles avec les paroles (en phonétique!), et ça chante. Faire vivre l’expérience de faire chanter les gens. Faire vivre ces chansons. Vivre.
L’une des Warga me disais que, l’autre fois, une dame demandait à savoir ce que voulaient dire les paroles de la chanson qu’on lui faisait chanter. Elle butait sur le sens, cherchait à comprendre. Une trentaine de minutes plus tard, une autre personne demandait de quoi la chanson parlait, et la même dame avait maintenant compris et répondait dans un élan de joie: On s’en fouuuuuuut! Bon, évidement, y’a moyen de savoir de quoi la chanson parle parce que le titre est là et qu’on peut facilement fouiller sur le net, mais ça m’a touché, d’insister à ce point sur le fait de déconnecter notre tête, et juste prendre part à la fête. Combien de solitudes en auraient besoin? Pendant que j’ai côtoyé les Warga, quelques membres quittaient, d’autres allaient venir. Ils sont plus d’une centaine maintenant à avoir été une cellule de cet organisme incroyable, qui n’a ni conseil d’administration, ni rapport annuel, ni cibles, ni… C’est juste une agglutination de volontés communes, de liberté et de joie. C’est une petite tribut incroyable. Sur ma route ensuite, je réalise que tout le monde les connais, que tout le monde a déjà chanté avec eux en comprenant qu’il était bon de chanter avec ses tripes et ses fausses notes. Longue vie au Wargasound.
Je n’avais pas d’autres plans après mon passage chez Sam, excepté une petite représentation dans un café. 9 jours de battement avant de me rendre sur Paris. Ça me tentais pas trop d’avoir à trouver un gîte à chaque soir, chercher des contacts, chercher à me rendre sur place et tout… et j’avoue avoir un peu procrastiné ma planif. Puis finalement… comme par magie, comme un grille-pain qui ne fonctionne plus et qu’on laisse trois ans sur une tablette, ça s’est réparé tout seul! L’un me téléphone pour savoir à quelle heure je conte dans un ptit café le lundi, j’lui dit qu’après cette date, je n’ai rien de prévu et que je cherche des projets… l’instant d’après, y’a une soirée d’organisée, un hébergement pour le temps que j’ai envie, on m’invite aussi dans un collectif pour deux soirées de contes, et des opportunités qui s’offrent sur Paris juste avant mon départ. Bam, 9 jours qui se remplissent d’une claque, dans une suite assez logique qui m’évitera de faire des aller-retours géographique et tout. C’est bien fait quand même le voyage. Me reste plus qu’à me faire porter. Qu’à ne pas chercher à comprendre les paroles. Parce qu’au fond, des fois, on s’en fout!
Le retour
(12 avril 2024)
Me v’la! Bien, c’est vite dit, quand il te faut autant de temps à traverser ta province que l’océan, mais j’en suis venu à bout! Ce matin, je me suis réveillé chez moi et j’me suis payé le luxe de mettre un t-shirt différent des 4 que j’avais apporté avec moi. J’ai déposé de la bouffe dans le frigo sans prendre une note mentale pour ne pas oublier de les récupérer. Les joies de la sédentarité.
Mon premier réflexe à l’épicerie a été d’acheter du caramel au beurre salé; j’imagine que trois mois en Bretagne, ça laisse ses traces! Outre mon taux de cholestérol et mon compte de banque, j’crois que je ressors de ce voyage sans trop de dégâts. Les objectifs du voyage sont atteint!
J’ai récolté l’histoire précise que j’était venu chercher, qui s’ajoutera aux 11 histoires longues que je raconte l’été à La Petite Grève;
J’ai rencontré 30 conteurs/conteuses, avec qui on a pu discuter en long et en large du métier, et des moyens de mener sa barque dans ce monde;
J’ai récolté 21 histoires courtes, ce qui double presque mon répertoire dans ce format;
J’ai fait 27 veillées de contes, dans des maisons, dans des granges, dans des librairies, etc;
J’ai défait et refait mes bagages 31 fois en un peu plus de 90 jours;
J’ai seulement passé 2 nuits à l’hôtel, et c’était à Toronto à cause d’un retard dans mon vol;
J’ai rien oublié chez personne, excepté un reste de smoked meat et un demi-kebab!;
J’ai pollué autant en prenant l’avion qu’en roulant mon char pendant 1.5 an (un aller-retour Mtl-Paris équivaux environ à 15 000 km en voiture en GES);
J’ai malheureusement et heureusement, vu aucun sanglier sauvage;
J’crois avoir vu 1 silouhette de l’Ankou dans un champ la nuit;
J’ai mangé environ 25 crêpes de sarrasin (ou galette, dépendamment l’endroit où j’étais), et au moins autant de crêpes de froment, ce qui est beaucoup plus raisonnable que lors de mon premier voyage en Bretagne en 2019
Voilà voilà. C’était toute qu’une aventure, et pour moi le métier de conteur pourrait pas être autre chose, sinon ça ferait longtemps que j’aurais arrêté!
Merci à tout ceux qui ont suivi ce périple, vous savoir dans mes bagages ajoutait une couche de sens à ce projet.